Interview de Matthieu Ganio par Le monde 2 n°127, le samedi 22 juillet
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Dans la Dame aux Camélias, Matthieu Ganio, danseur étoile à l'Opéra de Paris, incarne Armand Duval. Un rôle qui à l'image de jeune homme passionné qui n'envisage son art que morderne. Portrait d'un artiste qui vise le firmament.

Aucune question n'a résisté à la fougue de Matthieu Ganio, danseur étoile à l'Opéra de Paris. Il vit à mille mètre au dessus du sol. Tourbillon romantique comme il est difficile de l'imaginer aujourd'hui.
Pour croire à l'amour fou, il suffit de le voir s'évanouir trois fois dans les trentes premières minutes de la Dame au Camélias, une oeuvre du chorégraphe contemporain John Neumeier, inspiré du roman éponyme de Alexandre Dumas fils.
Il tombe en syncope à l'instant même où il tombe amoureux.
A l'instant même où il se voit trahi. La chute comme figure de style d'un excès de bonheur, ou de douleur, ça peut être très beau ou très c**.
Avec Matthieur Ganio, c'est très beau. Tout ce qu'il touche devient moderne, évident.
Il danse le rôle d'Armand Duval, le jeune amant de Marguerite Gautier, dite La dame au Camélias, avec une jeunesse qui fait les dents. Il a 22 ans.

"Je voudrais tellement aimé et être aimé avec cette intensité- là", confie t-il. Et l'air d'un ange avec ça.
D'un ange qui se tient encore à la lisière de la vie. C'est sur scène qu'il prend le risque de courir après son désir.
Il en suffoque. Il se pâme. Il entre dans le rôle comme un innoncent. Il incarne l'amour fou.
Ce danseur- là a le tempérament d'un incendiaire. Mais il le cache. Donne le change. Il lit " les souffrances du jeune Werther, de Goethe.
Face à cette flamme trop vive, on oublie le 19ème siècle,
Marguerite Gautieret sa phtisie galopante, ses quintes de toux légentaires. Ce qui ravit le spectateur, c'est l'éblouissement du jeune homme qui, dans l'amour, pressent la souffrance.
Mattieu Ganio craint la grandiloquence de la douleur.
Il l'exprime avec pudeur, persuadé que la danse peut tout exprimer. Les excès comme les nuances.
Dans le roman " La dame aux camélias" qu'Alexandre Dumas fils publia en 1848, l'auteur a transposé son amour déséspéré pour Marie Duplessis, jeune créature aussi belle que vénale, morte, elle aussi, de tuberculose oubliée de tous et pauvre, comme il se doit.
Alexandre Dumas père était intervenu auprès de la courtisane pour qu'elle laisse tomber son fils. Ce qu'elle fit.
Comme chez les Dumas, il y a Ganio père et Ganio fils. Et une mère au top : Dominique Khalfouni, égérie de année 1970-1980, danseuse étoile,qui quittera l'Opéra pour rejoindre le ballet de Marseille, que dirigeait Roland Petit en pleine forme, et dans lequel Denys Ganio, futur père était soliste.

" Je n'ai jamais voulu m'angoisser de tout cet héritage, ni faire "
comme papa et maman"". J'ai suivi mon chemin", dit le jeune danseur.

Son ascension tient du tour de prestidigitation. Une vraie danse de gènes.
Trois ans seulement après avoir été admis dans le corps de ballet de l'Opéra, il reçoit le 20 mai 2004 la distinction suprême d'étoile. Il a 20 ans.
A l'inverse de ses semblables qui en raffolent, les histoires de danse la saoulent.
Il ne discute ni technique ni duretée disciplinaire.
Il énonce les étapes de son apprentissage comme s'il ne s'agissait pas de lui, à la limite du dédoublement- enfance sous le soleil , cours privés de Madame Armand, école de danse du Ballet de Marseille, jeux et fêtes dans le parc Borely avec les copains, puis internat à l'école de danse de l'Opéra, situé à Nanterre.
Avec lui, c'est hop, hop, hop : étoile ! Une glissade magique.

Danseur, il ne pouvait l'être, au regard de ses antécédants familiaux, qu'au plus haut niveau.
Alors il est monté sans bruit, se tenant à l'écart. Il n'a rien vu que le but à atteindre.
Curieusement, son corps a très peu marqué l'effort musculaire.
Il est resté longiligne, étiré, conservant un certain anonymat au cas où le sccuès escompté serait moindre.
Maintenant, il va pouvoir renforcer la muscuclature pour que "ça tienne".
Leplus dure, en effet, était de durer.
Si devenir danseur étoile est l'apanage de quelques-uns, briller de tous ses feux est un destin.
Une étoile, une vraie, est adorée du grand public, se fait applaudir debout, est l'objet d'un culte.
Tant d'étoiles ne brillent que pour le sérail.

Mattheiur Ganio ne le sait que trop . Il en veut plus :
" Je m'en fous d'être un beau jeune homme. Je ne me sens pas jeune premier, encore moins prince, revendique -t-il. je veux l'exaltation des sens.
Je veux danser l'amour des Grieux qui suit Manon jusqu'à dans la mort.
Chez moi, je mets la musique du ballet, et arrive le pas de deux final, je frissonne."

"Je peux être tout", affirme t-il. Un mauvais garçon, un méchant, un marlou. Il se damnerait pour un contre-emploi.
Et n'envisage pas d'interprêter des princes, encore des princes, toujours des princes jusqu'à 45 ans, âge légal de la retraire pour un danseur de l'Opéra. Son art est-il pour autant en dehors de tout réalité, désuet, out ?
" Dans la dame au camélias, il suffit de danser avec en tête l'idée que Marguerite Gautier est atteinte du sida, et non plus de la tuberculose, pour que cette histoire nous touche au plus profond. Et le public sent cette modernité."


L'interprêtation, qui seule creuse un gouffre entre deux danseurs de talent égal, l'obsède.
Pressé, excité même, de se lancer tout entier dans cette voie.
La manière dont il campe Armand Duval témoigne de ses qualités d'acteur?
Mais avec qui apprendre pour aller jusqu'au bout des rôles ?
Des modèles de l'envergure de Noureïev, ou Baryshnikov ne manquent-ils pas aujourd'hui ?
Sylvie Guillem ne s'est- elle pas forgée quant Noureïev dirigeait l'Opéra, puis en s'opposant à lui ?

" Je me tairai, car je vais me déchirer, m'interdire d'interviews à vie", dit- il , le sourire aux lèvres.
Insistons. Il en meurt d'envie.
" Ce qui me manque, enchaîne t-il, et qui apparemment était la force de ces grands danseurs ce serait une personnes, non pas qui s'occupe de moi, je n'ai pas cette prétention, mais avec qui je pourrai avoir un échange personnel et qui, par ses conseils, me pousserait dans mes dernières retranchements. Quelqu'un derrière moi".
Matthieu Ganio cherche un ange gardien. Candidat pas sérieux s'abstenir.
La vie d'étoile est si fragile.


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