Dans la cause de JACQUELINE GIRARD, veuve D'HONORÉ CHAMOIS, MARIE-CLAUDE CHAMOIS, femme du sieur FRIGON, et ledit sieur FRIGON.
Il s'agissoit de l'état d'une fille sortie, à l'âge de treize ans, de la maison de sa mère, qui avoit passé en Amérique, s'y étoit mariée, y avoit demeuré seize ans, étoit revenue en France après la mort de son père et de ses frères, et que sa mère ne vouloit pas reconnoître.
QUOIQUE cette cause vous ait été expliquée avec 
tous les ornemens et toutes les couleurs qui peuvent 
la rendre vraisemblable, nous croyons néanmoins 
pouvoir dire d'abord que, lorsqu'on examine 
la variété des circonstances, la nouveauté des incidens 
que le caprice de la fortune ou l'artifice de 
la supposition y a fait entrer, si l'on sait si l'on 
doit la considérer comme l'ouvrage ingénieux d'une 
fiction agréable, ou comme le récit sincère d'une 
véritable histoire.
  Une fille obligée, dès l'âge de treize ans, à chercher, 
dans les hôpitaux, une sûreté qu'elle n'a pu 
trouver dans la maison de sa mère ; réduite à la 
triste nécessité de se charger de la honte et des 
apparences du crime, pour y éviter de le commettre, 
contrainte enfin à fuir, dans un autre 
monde, les malheurs qui la menaçoient en celui-ci, 
paroît aujourd'hui dans votre audience, après une 
absence de seize années, et elle implore le secoues 
de la justice, pour réparer, par l'autorité de vos 
jugemens, l'injure quelle prétend que la fortune 
a faite à la vérité de sa naissance. 
  Le nombre et l'enchaînement des faits qu'elle articule, 
la force de ses titres, l'autorité des témoins 
qu'elle a fait entendre, semblent décider la cause en 
sa faveur, et lui assurer la qualité et les droits de 
fille légitime. 
  D'un autre côté, le peu de vraisemblance que 
ces faits paroissent avoir, les contrariétés apparentes 
qu'on prétend trouver dans les principales circonstances, 
les soupçons qu'on a voulu répandre contre 
les témoins, et encore plus la voix de la mère, le 
désaveu formel qu'elle fait de sa fille, cette espèce 
de jugement naturel et domestique qu'elle a prononcé 
contre elle, rendent la cause douteuse et la 
décision difficile. 
  Pour découvrir, au travers de tant de ténèbres, la 
lumière de la vérité, nous nous attacherons en cette 
cause beaucoup plus à l'explication des faits, qu'à 
l'examen des questions que l'on pourroit y faire 
entrer ; et, dans cette vue, nous croyons devoir 
distinguer d'abord deux sortes de faits qui servent 
de sujet à cette contestation : les uns sont constans, 
et leur vérité est attestée par toutes les parties ; les 
autres, au contraire, paroissent douteux, et c'est 
dans la preuve de ces faits que doit consister la 
décision de cette cause. 
  Nous expliquerons d'abord les premiers, et nous 
entrerons ensuite dans l'examen et dans la discussion 
des autres. 
  L'état de la famille d'Honoré Chamois et de Jacqueline 
Girard, que l'intimée appelle ses père et 
mère, est un de ces premiers faits importans pour 
la décision de cette cause, et dont la vérité est 
reconnue par l'une et l'autre partie. 
  Quatre enfans sont issus de leur mariage : deux 
garçons et deux filles. 
  L'aîné de ces deux fils s'appeloit Henri Chamois, 
le second Philippe-Michel ; ils sont décédés l'un 
et l'autre depuis plusieurs années. 
  Sa fille aînée, appelée Marie Chamois, épousa 
Pierre Mareuil, et est morte sans avoir laissé d'enfans. 
  Marie-Claude Chamois fut la dernière de leurs 
enfans ; elle vint au monde en l'année 1656, et 
si elle vit encore aujourd'hui en la personne de l'intimée, 
elle sera l'unique héritière d'Honoré Chamois, 
son père. 
  A l'égard de la fortune d'Honoré Chamois, il 
paroît qu'il la devoit toute entière à la protection 
de M. le comte d'Harcourt, dont il avoit été secrétaire ; 
il est mort en l'année 1660, revêtu d'une 
charge de secrétaire du roi. 
  Marie-Claude Chamois, mise d'abord en nourrice 
chez la nommée Bouthillier, menuisier à Paris, 
fut ensuite élevée chez sa mère ; elle la suivit dans 
une maison qu'elle loua dans le faubourg Saint-Antoine. 
  C'est dans cette maison que l'intimée prétend 
avoir vu commencer les malheurs qui l'ont accablée 
dans la suite de sa vie. 
  Il est constant, et ce fait est le dernier de ceux 
dont toutes les parties conviennent, que soit par 
la négligence de ceux auxquels Jacqueline Girard 
avoit confié sa fille pendant son absence, soit pour 
se dérober aux emportemens de son frère, soit enfin 
pour éviter les mauvais traitemens que sa mère 
lui faisoit souffrir, Marie-Claude Chamois cessa 
de paroître dans la maison maternelle, dans sa 
famille, dans le public même. 
  Si l'on croit le témoignage de Jacqueline Girard, 
elle prétend que cette perte n'a jamais été réparée ; 
que le ciel ne lui a point encore rendu sa fille, 
qu'il lui a même refusé la consolation d'apprendre 
de ses nouvelles ; et le long temps qui s'est écoulé 
depuis qu'elle a disparu, ne lui permet pas de douter 
qu'elle n'ait fini sa vie par une mort malheureuse. 
  Si l'on s'arrête, au contraire, aux faits qui sont 
proposés par l'intimée, sa mère n'a pas été longtemps 
dans cet état d'ignorance et d'incertitude ; elle a 
été parfaitement instruite de son départ, du voyage, 
et du séjour qu'elle a fait en Amérique. 
  Mais, avant que d'entrer dans le détail de ces 
circonstances, il est nécessaire de s'arrêter ici à 
l'explication d'un fait qui ne peut être révoqué en 
doute : il est écrit dans les registres de l'hôpital, 
et les parties en reconnoissent également la vérité. 
  Dans le même temps que la véritable Marie-Claude 
Chamois disparoît, dans le temps que sa 
mère regrette sa perte, une fille du même âge, 
c'est-à-dire, de l'âge de treize ans, est amenée 
à l'hôpital de la Pitié, sous le nom de Marie-Victoire. 
  Celle qui l'a conduite en cette maison, est nommée 
sur le registre, Gabrielle Emeri ; il est dit qu'elle 
lui avoit été recommandée par le sieur Perceval, 
vicaire de Saint-Paul. 
  Trois jours après, on la fait entrer dans l'hôpital 
de la Salpétrière. On lit aujourd'hui dans le 
registre de l'entrée des pauvres en cette maison : 
Marie-Victoire, âgée de quatorze ans, qui ne 
connoît ni père ni mère, sera observée. 
  Ces paroles ont fait une des plus grandes difficultés 
de cette cause. 
  Toutes les parties conviennent que Marie-Victoire, 
conduite à l'hôpital-général, en 1669, est la même 
personne que celle qui paroît aujourd'hui à votre 
audience sous le nom, véritable ou emprunté, de 
Marie-Claude Chamois ; mais, ce qui est encore 
douteux, et que vous déciderez, par l'arrêt que vous 
allez prononcer, c'est de savoir si Marie-Victoire 
étoit la fille d'Honoré Chamois et de Jacqueline 
Girard, obligée à cacher son nom pour ne pas 
déshonorer sa famille, et exposer sa personne aux 
mêmes dangers qui la contraignoient à se retirer 
dans un hôpital ; ou si, au contraire, Marie-Victoire 
étoit une fille inconnue, sans parens, sans biens, 
qui devoit sa naissance au hasard d'une conjonction 
illicite, et que la charité d'un ecclésiastique faisoit enfermer 
dans un hôpital, comme dans un asile contre les 
tentations de la jeunesse et de la pauvreté. 
  Sa prétendue mère ne l'a point réclamée dans 
cet hôpital pendant l'espace d'une année qu'elle a 
passé dans la maison de la Salpétrière. Oubliée de 
ceux qu'elle appelle ses parens, et les oubliant 
elle-même, elle a perdu, dans cette demeure, tous 
les sentimens naturels qui attachent les hommes au 
lieu de leur naissance ; et, ayant été choisie pour 
être du nombre de celles qui devoient aller en Amérique, 
elle a mieux aimé renoncer à sa patrie, 
entreprendre un voyage périlleux, et passer dans 
un nouveau monde, que d'implorer le secours de 
celle qu'elle reconnoît aujourd'hui pour sa mère. 
  En l'année 1670, la même personne qui, dans 
l'hôpital, avoit toujours porté le nom de Marie-Victoire, 
qui pendant son séjour en cette maison 
avoit toujours ignoré sa naissance, sa condition, 
ses parens, qui ne connoissoit pas même son père 
et sa mère, change d'état en arrivant en Amérique ; 
elle quitte le nom de Marie-Victoire pour prendre 
celui de Marie Chamois. Le voile, qui lui cachoit 
sa naissance, se rompt ; elle connoit son père et sa 
mère ; elle donne à l'un le nom d'Henri Chamois, 
à l'autre celui de Jacqueline Girard ; et, dans un 
pays qui, par son éloignement, pouvoit être justement 
appelé une terre d'oubli, elle se souvient 
de toutes les circonstances de sa vie, qu'elle avoit 
ou ignorées ou dissimulées dans sa patrie. 
  Ce n'est point dans des actes de peu d'importance, 
que l'intimée prend possession de ce nouvel 
état. 
  C'est en se mariant avec le nommé Frigon ; c'est-à-dire, 
dans le plus solennel de tous les contrats, 
et le plus honorable de tous les engagemens de la 
société civile. 
  II est vrai qu'il se trouve quelque différence entre 
les véritables noms, et ceux que l'intimée a fait 
insérer dans le contrat de mariage. 
  Son prétendu père y est appelé Henry, quoique 
son véritable nom fût celui d'Honoré. 
  Au lieu de nommer sa mère Jacqueline Girard, 
elle l'appelle Giraut. Nous examinerons, dans la 
suite, si c'est à l'erreur du notaire ou à l'ignorance de 
l'intimée que cette faute doit être imputée. 
  Il est toujours certain que cette dernière différence 
ne se trouve que dans le contrat de mariage, et que 
dans l'acte de célébration, le nom de Jacqueline 
Girard a été fidèlement inséré. 
  Depuis l'année 1670, la prétendue Marie-Claude 
Chamois a demeuré dans le silence. Nous ne voyons, 
du moins, aucun acte qui l'ait interrompu ; elle 
prétend qu'elle a écrit plusieurs fois à sa mère, 
qu'elle a reçu plusieurs lettres, mais elle n'en rapporte 
aucune ; et ce fait est un de ceux que nous 
examinerons incontinent dans le détail des preuves 
de l'état de l'intimée. 
  Enfin, après une absence de seize années, elle 
quitle l'Amérique, elle revient en France, elle paroît 
dans sa famille ; quelques personnes la reconnoissent, 
sa mère la désavoue. 
  Elle la fait assigner au châtelet pour être condamnée 
à lui rendre un compte de communauté et 
de tutelle. La demande est renvoyée aux requêtes 
du palais ; les parties y procèdent volontairement. 
  La prétendue fille y rapporte son extrait baptistaire, 
son contrat de mariage, une lettre qu'elle 
prétendoit être écrite de la main de sa mère, et qu'elle 
a été obligée ensuite d'abandonner. 
  La mère conteste l'autorité de ces actes. Le refus 
de son suffrage rend la cause douteuse. L'intimée 
demande à faire preuve de plusieurs faits importans : 
elle soutient qu'elle a été baptisée à Saint-Gervais, 
sous le nom de Marie-Claude Chamois, nourrie par 
la femme du nommé Bouthillier, élevée chez sa mère 
jusqu'à l'âge de dix, onze à douze ans, obligée d'en 
sortir, pour éviter les fureurs de son propre frère, qui 
ne respectoit plus en elle les droits sacrés de la nature, 
de la religion et de la loi ; qu'elle a été conduite 
par la nommée du Rivault chez le sieur le Retz, sous-vicaire 
de Saint-Paul, et amenée enfin, par ses soins, 
d'abord à l'hôpital de la Pitié, et ensuite transférée 
à celui de la Salpétrière. Elle explique, dans la même 
requête, son départ pour le Canada, les circonstances 
de son voyage, son arrivée, son séjour, son 
mariage en Amérique, les lettres que sa mère lui a 
écrites, enfin son retour en France, la reconnoissance 
d'une partie de sa famille, le désaveu injuste de 
sa mère. 
  En cet état, Frigon, mari de l'intimée, intervient 
dans l'instance comme tuteur de ses enfans. 
  C'est dans toutes ces circonstances, et avec toutes 
ces parties, que la première sentence, dont l'appel 
est porté en ce tribunal, a été prononcée. 
  Elle appointe les parties en droit au principal, 
sur la provision à mettre, et cependant la preuve 
permise. 
  L'enquête a été faite et les témoins entendus, avant 
que l'intimée eût fait signifier un arrêt de défenses 
qu'elle a obtenu. 
  On a formé opposition à cet arrêt pendant le cours 
de la procédure. 
  Seconde sentence, qui adjuge quatre cents livres 
à l'intimée. 
  Second appel, en adhérant. 
  Arrêt contradictoire qui reçoit la partie de M.e Thevart 
appelante, et la déboute du surplus de ses requêtes, 
c'est-à-dire, lève les défenses ; requête à fin 
d'évocation du principal. 
  Voilà, MESSIEURS, quel est l'état de cette cause, singulière 
dans ses faits, longue dans le récit de ses circonstances, 
et importante dans sa décision, puisqu'il 
s'agit d'assurer la condition d'une personne qui, depuis 
plus de vingt années, incertaine de sa destinée, 
a cherché inutilement dans l'un et dans l'autre monde, 
un état fixe et tranquille, un repos solide et durable
qu'elle ne peut désormais espérer que de votre jugement (1). 
  Voilà, MESSIEURS, quels sont les principaux 
moyens des parties. Telles sont les raisons de l'appelante 
pour convaincre l'intimée d'imposture, et 
celles de l'intimée pour établir la vérité de son origine, 
et confondre la dureté de sa mère. 
  La première difficulté que nous croyons devoir examiner 
dans cette cause, c'est l'autorité du désaveu 
de la mère. 
  Nous n'avons garde de croire que l'on doive considérer 
sa voix comme absolument décisive. Nous 
savons que son témoignage, qui ne devroit jamais 
avoir pour principe que la nature et la vérité, peut 
devenir suspect par les différentes passions qui 
agitent le cœur des hommes. Nous n'ignorons pas 
la disposition du droit qui rejette ces déclarations 
injustes, par lesquelles une mère irritée ou aveuglée 
par son avarice, s'efforce de donner atteinte à l'état 
de ses enfans. 
  Mais, en même temps que nous sommes convaincus 
de l'équité de ces lois, nous ne pouvons nous 
empêcher de reconnoître que tant que la conduite 
de la mère ne fait concevoir aucun soupçon contre 
elle, la présomption doit toujours être en sa faveur, 
jusqu'à ce qu'elle soit détruite par des preuves authentiques, 
ou par des présomptions aussi fortes et 
aussi légitimes. 
  C'est dans cette vue que nous croyons devoir examiner 
avec plus d'attention que dans aucune autre 
cause, tous les argumens par lesquels on peut assurer 
l'état de l'intimée. 
  Nous ne nous arrêterons point ici à traiter une 
première question, toujours agitée dans les causes 
d'état, et presque toujours uniformément décidée 
par la disposition de vos arrêts. 
(1) Les moyens des parties furent expliqués ensuite, sans 
qu'ils aient été écrits.
  Elle consiste à savoir quelle est la preuve légitime 
de l'état, de la naissance et de la filiation. 
  Personne n'ignore les dispositions des lois romaines, 
celles de nos ordonnances, et la jurisprudence 
certaine de vos arrêts sur cette matière. 
  La preuve la plus légitime dans les questions d'état, 
est celle qui se tire des registres publics. Ce 
principe est une espèce de droit des gens, commun 
à toutes les nations policées. 
  Mais, cette preuve, quelque authentique et quelque 
légitime qu'elle puisse paroître, n'est pas néanmoins 
la seule ; et, comme il n'est pas juste que la 
négligence des parens, la prévarication de ceux qui 
conservent les registres publics, les malheurs et l'injure 
des temps, puissent réduire un homme à l'impossibilité 
de prouver son état, il est de l'équité de 
la loi d'accorder, en tous ces cas, une autre preuve 
qui puisse suppléer le défaut et réparer la perte des 
registres ; et cette preuve ne peut être que celle 
qui se tire des autres titres et de la déposition des 
témoins. 
  Tels sont, en peu de mots, les principes que le 
consentement unanime des lois et des ordonnances a 
établis sur cette matière. 
  La première preuve résulte des registres publics 
des baptêmes et des mariages ; la seconde, des titres ; 
et la troisième, des témoins. 
  Examinons maintenant, dans le fait, si l'intimée 
peut alléguer ces trois preuves en sa faveur, et si elles 
concourent également à lui faire donner la qualité 
de fille légitime. 
  Nous commencerons cet examen par la discussion 
des preuves littérales. 
  L'état de la partie de M.e Joly de Fleury paroît 
établi sur trois actes authentiques, sur les titres les 
plus solennels qu'on puisse alléguer dans de pareilles 
contestations. 
  Un extrait baptistaire, un contrat de mariage, et 
l'acte de célébration. Enfin, un transport fait en 
l'année 1685, par lequel on prétend que la mère 
a trahi ses propres sentimens, et assuré l'état de celle 
qu'elle désavoue aujourd'hui. 
  Il semble d'abord que le seul nom d'extrait baptistaire 
suffise pour décider cette contestation, et que, 
sans examiner le détail des autres argumens de l'intimée, 
on doive s'arrêter à la preuve de toutes la plus 
authentique, la plus légitime et la plus décisive. 
  Qui sera désormais en sûreté, vous a-t-on dit pour 
l'intimée ? Quelle sera la personne dont l'état ne 
puisse être attaqué, si, contre la foi d'un extrait 
baptistaire, il est permis encore de révoquer en doute 
la vérité de la naissance, et d'attaquer par là nonseulement 
l'autorité d'un acte conservé dans des registres 
publics, mais encore la sage disposition de 
l'ordonnance, qui se contente de cette preuve ?
  Quelque fortes que paroissent ces réflexions, si 
l'intimée étoit réduite à cette unique preuve, nous 
aurions peine à croire qu'elle fût suffisante pour décider 
seule cette contestation. 
  Il peut être certain qu'il y a eu une Marie-Claude 
Chamois baptisée sous ce nom dans l'église de Saint-Gervais, 
fille d'Honoré Chamois et de Jacqueline 
Girard, sans qu'il soit assuré que celle qui paroît 
aujourd'hui sous ce nom, soit la même que celle qui 
l'a reçu autrefois, et la malice d'un imposteur pourroit 
être assez grande pour prendre l'extrait baptistaire 
aussi bien que le nom d'une personne absente. 
  Ainsi, un extrait baptistaire est, à la vérité, la 
plus sûre et la plus infaillible de toutes les preuves ; 
mais elle peut être éludée, si elle n'est soutenue 
par la longueur de la possession, par la connoissance 
que le public a de l'état, du nom, de la qualité d'une 
personne. 
  Nous sommes néanmoins obligés de reconnoître 
que, quoique cette preuve ne soit pas précisément 
par elle-même absolument décisive, elle forme toujours une 
présomption violente en faveur de celui 
qui la produit ; et tant que l'on ne pourra point 
représenter celui qui auroit droit de se servir de cet 
extrait baptistaire, tant qu'on ne peut montrer son 
extrait mortuaire, et, en un mot, tant qu'on ne 
peut justifier ni sa vie, ni sa mort, bien loin de 
pouvoir accuser d'imposture celui qui se sert d'un 
pareil acte, il semble au contraire qu'il doit être 
écouté favorablement jusqu'à ce qu'on l'ait convaincu 
de fausseté et de supposition, en représentant celui 
dont il emprunte le nom. 
  Cette réflexion peut être appliquée naturellement 
à l'espèce de cette cause. Supposons, pour un moment, 
que l'intimée ne rapporte aucune preuve de 
la possession dans laquelle elle prétend être de son 
état, ne pouvons-nous pas dire que la seule représentation 
de son extrait baptistaire seroit une présomption 
assez forte pour lui faire obtenir la preuve par 
témoins, et que la véritable Marie-Claude Chamois 
ne paroissant point, que sa mort n'étant point 
prouvée, elle auroit au moins un titre coloré, 
un droit apparent qui rendroit sa prétention favorable ? 
  En effet, pourroit-on se persuader qu'un imposteur 
pût avoir assez de connoissance de l'état d'une famille, 
pour savoir qu'une personne absente ne sera point 
en état de se représenter pendant le cours de la 
procédure ? Quelle assurance peut-il avoir d'un fait 
aussi incertain ; et s'il n'en peut avoir aucune, 
croira-t-on qu'il ait assez de témérité pour vouloir 
s'exposer au péril d'être convaincu par une preuve 
si évidente de fausseté, de supposition et de calomnie ? 
  Ainsi, pour renfermer en peu de mots toutes les 
réflexions que nous croyons pouvoir faire sur ce 
premier acte, nous ne doutons pas que, quoiqu'il 
ne soit pas une preuve absolument concluante, si l'on 
y opposoit des preuves d'imposture et de supposition 
de personne, il doit au moins être considéré comme 
une présomption très-forte, capable de faire admettre 
la preuve testimoniale, et qui devient même tout 
à fait décisive, si elle se trouve jointe à la possession ; 
et c'est ce que nous avons à examiner par rapport à 
la seconde preuve littérale que l'intimée allègue en 
sa faveur. 
  Cette preuve est tirée de son contrat de mariage, 
par lequel elle prétend avoir pris, dès l'année 1670, 
la qualité de fille légitime de Chamois, et de Jacqueline 
Girard sa femme. 
  Il y a deux choses à distinguer dans cet acte, le 
fait et l'induction qui en résulte. 
  L'on a soutenu que l'intimée s'étoit trompée dans 
le nom de baptême de celui qu'elle appelle son père, 
et dans le nom propre de sa prétendue mère. Henri, 
au lieu d'Honoré ; Giraud, au lieu de Girard ; et 
de ce changement on veut tirer une conviction 
entière de l'ignorance dans laquelle étoit alors l'intimée, 
de ceux qu'elle veut faire passer aujourd'hui 
pour ses parens, et de l'imposture par laquelle elle 
veut entrer dans une famille étrangère. 
  Celle de ces objections qui a le plus d'apparence, 
est détruite par un acte aussi authentique que le 
contrat de mariage, par l'acte de célébration qui le 
suit immédiatement, et dans lequel le véritable nom 
de Jacqueline Girard est énoncé : et si cette faute 
s'est glissée dans le contrat de mariage, c'est une 
erreur qu'il est plus juste d'imputer au notaire qu'à 
l'intimée. 
  La différence du nom de baptême du père, nous 
paroît un argument trop léger pour nous arrêter 
plus long-temps à le réfuter. Est-il surprenant qu'une 
fille, qui n'avoit que quatre ans, tout au plus, quand 
son père est mort, qui est sortie de la maison paternelle 
à treize ans, et du royaume à quatorze, pour 
passer en Amérique, ait ignoré ou même oublié le 
nom de baptême de son père, qu'elle l'ait appelé 
Henri, au lieu de lui donner le nom d'Honoré ; et 
une simple erreur de cette qualité pourra-t-elle 
suffire à l'appelante pour accuser d'imposture une 
fille absente pendant long-temps, séparée de sa 
famille dès sa plus tendre jeunesse, et peu instruite 
de plusieurs circonstances beaucoup plus importantes 
que le nom de baptême de son père ? 
  Nous ne nous arrêtons point ici à réfuter une 
objection qui regarde encore le même contrat. 
Omission du nom de Claude ; mais la mère elle-même 
l'a oublié dans un transport de l'année 1685. 
  Après avoir assuré la vérité du fait, voyons quelle 
est la preuve que l'on peut en tirer, pour assurer 
l'état de l'intimée. 
  Tous les motifs qui ont pu la déterminer à se dire 
fille d'Honoré Chamois et de Jacqueline Girard, se 
réduisent à trois principaux. 
  Ou le hasard a eu plus de part à cette résolution, 
qu'un dessein prémédité ; ou, au contraire, ce nom 
qu'elle a pris n'a point été l'effet d'un choix aveugle 
et du caprice de la fortune, mais elle l'a pris avec 
réflexion ; et, dans ce cas, elle ne peut avoir eu que 
deux vues différentes, ou de jeter dès-lors les fondemens 
de cet ouvrage de fraude et d'imposture 
qu'on prétend qu'elle a voulu élever dans la suite, 
ou de se conserver dans une famille et dans un état 
où la Providence l'avoit fait naître. 
  Si le hasard ni l'imposture n'ont pu lui suggérer 
ce dessein, il faudra pour lors convenir que l'on 
doit regarder la déclaration qu'elle a faite, dès l'âge 
de quatorze ans, comme la voix de la nature et le 
témoignage sincère de la vérité. 
  Nous ne croyons pas que l'on doive s'arrêter long-temps 
à examiner la première cause de cet effet, et 
que personne puisse attribuer au hasard un choix 
de cette nature. 
  Par quelle fatalité l'intimée auroit-elle adopté 
plutôt le nom de Chamois, nom assez rare et très-inconnu ? 
Mais, par quel caprice, encore plus bizarre, 
de la fortune auroit-elle joint ce nom à celui de 
Jacqueline Girard ? et par quel bonheur auroit-elle 
également réussi dans le nom du père et dans celui 
de la mère ? C'est réfuter cette objection que de la 
proposer, et l'impossibilité morale que cette supposition 
renferme, justifie suffisamment que le hasard 
n'a point eu de part dans ce choix. 
  Examinons maintenant si la fraude et l'imposture 
ont fait ce que le hasard et la fortune n'ont pu faire. 
  Nous croyons pouvoir dire, à cet égard, que rien 
n'accuse l'intimée, et que tout, au contraire, la 
justifie. La jeunesse, l'état de la famille dans laquelle 
on suppose qu'elle a voulu entrer par artifice, l'éloignement 
des lieux, l'intervalle du temps qui s'est 
écoulé depuis le jour qu'elle a pris cette qualité 
jusqu'au jour de sa demande : il n'y a pas une seule 
de ces circonstances qui ne fasse voir la droiture et 
la sincérité de ses intentions, et qui ne dissipe tous 
les soupçons qu'on a voulu nous faire concevoir 
contre sa conduite. 
  Pourra-t-on se persuader qu'une jeune fille, âgée 
de quatorze ans, éloignée de son pays, sans amis, 
sans secours, sans parens, condamnée à un exil 
perpétuel, bannie non-seulement du royaume, mais 
de tout le monde que nous habitons, ait eu assez de 
malice pour vouloir préméditer dès-lors un concert 
de fraude et d'imposture ? Et si l'on veut qu'elle 
l'ait prémédité, nous demanderons encore par quel 
motif secret elle a choisi la famille d'Honoré Chamois 
pour y exécuter son projet ; comment même le nom 
de Chamois a pu lui être connu ; comment enfin sa 
malice a été assez aveugle pour ne pas chercher plutôt 
à entrer dans une maison illustre, capable ou de 
flatter son ambition par sa noblesse, ou son avarice 
par ses biens. 
  Mais, par quel excès de témérité a-t-elle pu 
s'assurer ou que Marie-Claude Chamois, dont elle 
vouloit usurper la place, seroit morte dans le temps 
qu'elle exécuteroit son dessein, ou qu'elle voudroit 
bien ne point paroître, pour lui laisser prendre 
le nom que la nature ne lui auroit point donné ?
  Dans quel pays forme-t-elle une entreprise si téméraire ? 
C'est dans l'Amérique, dans un lieu où elle 
établissoit pour toujours sa fortune, par le mariage 
qu'elle venoit d'y contracter. Et dans quel temps 
exécute-t-elle ce dessein, conçu dès l'année 1670 ? 
Elle diffère pendant quinze années entières ; elle ne 
revient en France qu'en l'année 1685. Peut on concilier 
la témérité de l'entreprise, avec la lenteur de 
l'exécution ?
  Si l'on répond à ces argumens, que l'intimée a pris 
le nom de Chamois, parce qu'elle l'a entendu nommer, 
lorsque l'appelante, affligée de la perte de sa 
fille, et la cherchant en tous lieux, alla a l'hôpital-géneral 
pour voir si elle ne l'y trouveroit point ; et 
que, la nommée Marie-Victoire lui ayant été représentée, 
elle apprit, pour lors, quel étoit son nom, 
qu'elle a cru ensuite pouvoir le prendre impunément 
en Amérique, et que la nature ne lui ayant point 
donné de parens, elle avoit cherché à s'en donner 
par l'artifice d'une supposition. 
  1.o Ce fait n'est point prouvé. 
  2.o Quand il seroit vrai que Marie-Victoire auroit 
été représentée à l'appelante, dans le temps que 
celle-ci cherchoit sa fille, il seroit difficile de concevoir 
qu'une mère, dans la douleur de ne point 
retrouver sa fille, se fût attachée à instruire une inconnue 
et une étrangère de l'état de ses enfans, du 
nom et surnom de Chamois, et de son propre nom. 
Elle prétend qu'aussitôt que la vue de Marie-Victoire 
lui eut appris qu'elle n'étoit point sa fille, le regret 
de sa perte se renouvela dans son cœur, et lui fit 
verser des larmes sur l'état de sa fille. Est-il vraisemblable 
que, dans cette disposition, elle ait consommé 
en longs discours un temps qu'elle n'employoit, 
selon ses propres expressions, qu'à pleurer ses 
malheurs domestiques ? Dira-t-on que cette simple 
vue ait assez frappé Marie-Victoire, pour la porter à 
prendre ce nom dans tout le cours de sa vie ? 
  Vous voyez donc, MESSIEURS, que l'on ne peut 
diminuer, par aucun argument, la force des preuves 
qui résultent de ce seul acte. 
  Si toutes les circonstances qui l'accompagnent sont 
autant de témoins de l'innocence de l'intimée, si 
rien ne l'accuse d'imposture, s'il est possible d'admettre 
la force du hasard dans un fait de cette qualité, 
que reste-t-il à présent, si ce n'est de reconnoître, 
dans cet acte, un caractère de vérité plus 
fort que toutes les dépositions des témoins, et qui, 
joint avec l'extrait baptistaire, nous paroît faire une 
preuve invincible de l'état de l'intimée ? 
  Elle a pris possession de cet état depuis l'année 1670. 
Elle l'a toujours conservé jusqu'à présent. 
  Cette possession peut paroître d'abord destituée 
d'un des caractères les plus essentiels à une possession, 
pour la rendre légitime. Elle n'est pas publique, 
par rapport à la mère et aux autres parens, 
qui auroient eu intérêt de l'empêcher. 
  Mais, bien loin que la distance des lieux la rende 
suspecte, nous croyons au contraire qu'elle est, en 
cela même, une nouvelle preuve de la bonne foi et 
de la sincérité de l'intimée. 
  C'est une possession commencée par une fille de 
quatorze ans, dans un autre hémisphère, dans un 
lieu où l'intimée ne pouvoit avoir aucune connoissance 
de la famille d'Honoré Chamois, et encore 
moins concevoir le dessein de fraude et de supposition 
qu'on lui impute ; possession suivie pendant le 
cours de seize années, sans qu'elle ait jamais pu recueillir, 
pendant un si long temps, aucun fruit de 
l'imposture dont on l'accuse ; enfin, possession approuvée 
en quelque manière par la mère, par la seule 
partie qu'elle ait aujourd'hui, et qui a reconnu 
qu'elle étoit vivante en l'année 1685, par un acte 
dont l'autorité est la dernière et une des principales 
preuves littérales de l'intimée. 
  On vous a expliqué, MESSIEURS, la disposition et 
les qualités de cet acte. La mère y dispose d'un effet 
considérable en faveur d'un créancier de la succession 
de son mari. Elle y prend le titre d'héritière mobilière 
de trois enfans qui étoient décédés, et de 
tutrice de Marie Chamois, unique héritière d'Honoré 
Chamois, son père. 
  Nous croyons devoir faire ici plusieurs réflexions, 
toutes importantes. 
  Premièrement, la mère prend dans cet acte 
une qualité fausse ; elle se dit tutrice d'une majeure. Une 
mère peut-elle ignorer l'âge de sa fille ? A-t-elle pu 
oublier qu'elle étoit née en 1656, et qu'en 1685 il 
y avoit quatre ans qu'elle étoit majeure ? 
  Mais, en second lieu, par quel dessein, dans 
quelle vue une mère peut-elle prendre une qualité 
aussi fausse que celle de tutrice d'une majeure ? 
  On prétend que le créancier l'a exigé pour sa 
sûreté ; mais est-il concevable qu'un créancier croye 
trouver sa sûreté dans ce qui seroit la cause indubitable 
de sa ruine, et que, pour acquérir la propriété 
des effets qui lui ont été cédés, il ait demandé que 
le transport lui fût fait par la tutrice d'une majeure ? 
  Mais, s'il étoit vrai, comme la mère le prétend, 
que depuis 1669 jusqu'en 1685, elle n'a eu aucune 
nouvelle de sa fille, n'a voit-elle pas une qualité certaine, 
plus conforme à la situation où elle auroit été, 
et aux véritables intérêts de son créancier ? 
  Elle devoit, par une présomption naturelle et 
légale, croire que sa fille étoit morte après un temps 
aussi considérable que celui de seize années. Elle 
pouvoit prendre la qualité d'héritière ; elle pouvoit 
jouir par provision, des effets de la succession. Ce 
titre étoit beaucoup plus sûr que celui de tutrice ; 
et, si elle ne l'a pas pris dans cet acte, si par là elle 
l'a reconnue vivante, qu'elle avoue aujourd'hui qu'il 
n'est pas vrai qu'elle n'en ait reçu aucunes nouvelles 
depuis sa sortie, arrivée en 1669 ; qu'elle déclare de 
bonne foi qu'elle a été instruite de son état, informée 
de son existence, puisqu'elle a agi comme sa tutrice ; 
précaution qui auroit été inutile, si elle avoit pu justifier 
sa mort, ou par une preuve parfaite, ou par 
une présomption aussi forte qu'une absence de seize 
années. 
  Il est remarquable qu'il s'agissoit d'un effet à prendre 
sur la succession de M. le comte de Harcourt, dans 
la maison duquel l'état de la famille de l'appelante 
pouvoit être connu. 
  Si non-seulement sa famille, mais la république, 
à laquelle les enfans ne naissent pas moins qu'à leur 
père, lui demande aujourd'hui compte de cette fille 
qu'elle a reconnue vivante en 1685, que pourra-t-elle 
répondre? S'excusera-t-elle sur le long espace 
de temps qui s'est écoulé depuis que sa fille a cessé 
de paroître? Mais on lui répondra qu'en l'année 1685, 
dans un acte qui est uniquement son ouvrage, un an 
avant la demande que l'intimée a formée contre elle, 
elle a reconnu publiquement la vie et l'existence de 
sa fille ; et si elle ne peut alléguer d'autres excuses 
pour se défendre, ne sommes-nous pas en droit de 
lui dire : Ou représentez votre fille, ou reconnoissez 
celle que la fortune vous envoie. 
  Voilà, MESSIEURS, quelles sont les preuves, par 
écrit, que l'intimée rapporte. 
  Si l'on réunit ces trois actes, l'extrait baptistaire, 
la possession prise publiquement par le contrat de 
mariage, la déclaration non suspecte de la mère, de 
l'existence de sa fille en 1685, nous croyons qu'il est 
difficile de résister à tant de preuves, et qu'elles pourroient 
même suffire pour démontrer la vérité de l'état 
dans lequel l'intimée demande aujourd'hui à être 
maintenue. 
  Mais, si l'on y joint la preuve testimoniale, nulle 
difficulté. 
  Les témoins qui ont été entendus, sont encore 
plus forts par le poids de leurs dépositions, que par 
leur nombre. Nul reproche contre eux, leur qualité 
non suspecte ; tout conspire à donner à leur témoignage 
l'autorité la plus capable de faire impression. 
  L'un est le directeur de l'hôpital, le confesseur de 
l'intimée, celui qui lui a donné les premières instructions 
de sa religion, qui l'a reçue dans l'hôpital, 
qui l'a vue partir pour le Canada. L'accusera-t-on de 
prêter son ministère à cet ouvrage d'iniquité et d'imposture ? 
  L'autre est le mari de la nourrice de Marie-Claude 
Chamois, faussement accusé de démence ; il a vu 
l'intimée dans son bas âge ; il a été averti de sa retraite ; 
il a regretté sa perte ; il témoigne la joie 
qu'il a de la revoir aujourd'hui. 
  La troisième, est la nommée du Rivault : c'est 
celle qui a été instruite de tous les malheurs de l'intimée ; 
c'est elle qui l'a conduite chez le sieur vicaire 
de Saint-Paul ; c'est par ses soins qu'elle a conservé 
la vie et l'honneur. 
  Le dernier est Pierre Mareuil, beau-frère de 
l'intimée. 
  Les témoignages de parens sont d'un grand poids 
dans des affaires de cette nature. 
  Tous la reconnoissent, tous se souviennent de l'avoir 
vue dans le temps où elle étoit constamment 
Marie-Claude Chamois. 
  Le second et le troisième expliquent les causes 
de sa sortie. L'un en accuse les duretés de la mère, 
l'autre les violences du frère ; le détail qui accompagne 
leurs dépositions, ne laisse concevoir aucun 
soupçon contre leur fidélité. Ils indiquent les temps, 
les lieux, les personnes. Le sieur le Roi, auquel 
la nommée du Rivault dit qu'elle a amené Marie-Claude 
Chamois, a donné une déclaration par laquelle 
il confirme la vérité de tous ces faits. 
  Enfin le sieur Millet explique la demeure à l'hôpital, 
les lettres de la fille et de la mère. 
  A l'égard de la lettre qui paroît n'être pas véritable, 
  1.o L'intimée ne s'en sert point. 
  2.o Il n'est pas impossible qu'une fille qui a toujours 
demeuré avec sa mère jusqu'à treize ans, qui 
l'a quittée à cet âge, ne connoisse point son écriture. 
  Ainsi, tous les faits s'accordent parfaitement. Ils 
sont confirmés encore par la déclaration de la dame 
Bourdon. 
  Que peut-on opposer à tant de preuves réunies ? 
On allègue de prétendues contradictions. 
  1.o Dans sa requête elle expose qu'elle sortit à 
dix, onze ou douze ans. Cependant elle en avoit 
treize. 
  Mais il ne peut y avoir qu'une différence de 
deux ou trois mois. 
  2.o Elle a exposé d'un côté, que c'étoient les duretés 
de sa mère, et de l'autre que c'étoit l'empressement 
de son frère, qui l'avoient obligée de sortir 
de la maison de sa mère. 
  Mais l'un et l'autre peuvent être également vrais. 
  3.o La nommée du Rivault auroit dû avertir sa 
sœur ; mais peut-être l'a-t-elle fait inutilement. 
  4.o On demande enfin pourquoi on lui a donné, 
en la faisant entrer à l'hôpital, le nom de Marie-Victoire ? 
Rien n'est plus facile à expliquer, en supposant 
les autres faits, etc. 
  Nous estimons qu'il y a lieu de mettre l'appellation 
et ce dont est appel au néant, émendant, évoquant 
le principal, maintenir et garder Marie-Claude 
Chamois dans la qualité de fille légitime d'Honoré 
Chamois et de Jacqueline Girard, enjoindre à l'appelante 
de la reconnoître pour sa fille. 
  Arrêt conforme aux conclusions le 21 avril 1693, 
prononcé par M. le président de Harlay. 
  ENTRE François Frigon, habitant de Bastican, pays de 
Québec en Canada, sous la domination du Roi, dite nouvelle 
France, et damoiselle Marie-Claude Chamois, sa femme, à 
cause d'elle, fille et unique héritière du défunt Honoré Chamois, 
écuyer, héraut d'armes de France, son père, et encore 
ladite Chamois, héritière de défunts Marie, Henri et Philippe-Michel 
Chamois, ses frères et sœur, demandeurs aux fins de 
l'exploit d'assignation donnée à leur requête au châtelet de 
Paris, le quinze mars mil six cent quatre-vingt-six, renvoyés 
aux requêtes du palais par autre exploit du dix-neuf avril ensuivant, 
et retenus par sentence desdites requêtes du ving-sept 
dudit mois d'avril audit an ; ladite demande tendante à ce que 
damoiselle Jacqueline Girard, veuve dudit défunt Chamois, 
défenderesse ci-après nommée, fût condamnée à leur communiquer 
l'inventaire qu'elle a fait ou dû faire après le décès dudit 
défunt sieur Chamois, son mari, pour, après ladite communication, 
rendre par elle le compte de communauté d'entre elle 
et sondit défunt mari ; ensemble celui de tutelle qu'elle a gérée, 
des personnes et biens desdits Marie, Henri et Philippe-Michel 
Chamois, et de ladite Marie-Claude Chamois ses enfans, payer 
le reliquat qui en seroit dû, et ensuite être procédé avec eux 
au partage des biens et effets délaissés par ledit défunt, et  en 
cas de contestation, condamner les contestans aux dépens d'une 
part ; et ladite damoiselle Jacqueline Girard, veuve dudit défunt 
sieur Honoré Chamois, tant en son nom à cause de la 
communauté qui a été entre elle et ledit défunt son mari, que 
comme tutrice desdits Marie, Henri et Philippe-Michel Chamois, 
et ladite Marie-Claude Chamois, ses enfans, et dudit défunt 
Chamois, défenderesse d'autre part ; et entre ladite Jacqueline 
Girard audit nom, appelante des sentences contre elle 
rendues aux requêtes du palais, les vingt-un juin mil six cent 
quatre-vingt-huit, et douze mai mil six cent quatre-vingt-neuf, 
et défenderesse d'une autre part ; et lesdits François Frigon et 
damoiselle Marie-Claude Chamois sa femme, aussi esdits [should read èsdits?] noms ; 
et encore ledit Frigon au nom et comme tuteur de Jean-François, 
Marie-Madeleine, Marie-Louise, Marie-Françoise, 
Marie-Jeanne, et Antoine Frigon, ses enfans, et de ladite 
Marie-Claude Chamois, sa femme, reçue en cette qualité partie 
intervenante en l'instance qui étoit pendante auxdites requêtes 
du palais, par la sentence dudit jour, vingt-un juin mil six 
cent quatre-vingt-huit, intimés et demandeurs en requête du 
dix-huit avril mil six cent quatre-vingt-treize, à ce qu'il plût à 
la cour en venant plaider sur ledit appel, évoquer le principal 
différend d'entre les parties, et y faisant droit, en conséquence 
des preuves par eux rapportées, déclarer ladite Marie-Claude 
Chamois, fille dudit défunt Honoré Chamois, et de ladite Jacqueline 
Girard sa femme, ses père et mère, et unique héritière 
dudit Chamois, son père ; ce faisant, ordonner que ladite 
Girard seroit tenue de la traiter filialement, et au surplus leur 
adjuger les fins et conclusions par eux prises, et condamner 
ladite Girard en tous les dépens. APRÈS que Thévart pour 
ladite Girard, Joly de Fleury pour Marie-Claude Chamois, et 
Beaufils pour Frigon, au nom et comme tuteur, ont été ouïs 
pendant deux audiences, ensemble d'Aguesseau pour le procureur-général 
du roi : 
  LA COUR, reçoit la partie de Beaufils partie intervenante, 
ayant aucunement égard à son intervention, a mis et met l'appellation 
et ce dont a été appelé au néant, émendant, évoquant 
le principal, et y faisant droit, a maintenu et gardé la 
partie de Joly de Fleury en possession de sa qualité de fille légitime 
et unique héritière de défunt Honoré Chamois son père, 
condamne la partie de Thévart de lui rendre compte de la succession 
de son père, et des effets de ladite communauté d'entre 
lui et la partie de Thévart, et à cette fin les renvoie aux requêtes 
du palais, condamne la partie de Thévart aux dépens.