Le Passe temps d'oysiveté
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- The text with pale blue background is Gaguin's speech.
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The text
S'ENSUIT LE PASSE TEMPS D'OYSIVETÉ
de maistre Robert Gaguin, docteur en decret, ministre et
general de l'ordre Saincte Trinité et redemption des captifz,
pour le temps qu'il estoit a Londres en ambassade avec noble
et puissant seigneur Françoys, Monseigneur de Luxembourg,
pour le roy de France, attendant le retour de noble homme
Valeren de Saint1, bally de Senlis lequel estoit retouré en
France devers ledit seigneur pour certains articles touchans
la charge de l'ambassade, MilCCCC.IIIIXXIX. †, au moys de
decembre.
I.
Ung jour allant a Vuest maistre2
En ung bateau sur la Thamise,
Je m'adressay au herault Sestre
Et luy dis, comme on se devise3 :
« Quel est le vent de la chemise4
Dont on dit que les femmes usent ? »
Les oyseux a petit5 s'amusent.
5
II.
Il me dist asses sobrement,
Comme sage, a peu de parolle,
Qu'il n'avoit1 jamais longuement
Suyvy ne les clercs, ne l'escole ;
Et qu'ausi de telle2 frivole
Les bons ne faisoient pas grant compte.
[. . . . . . . . . . .]3
10
III.
J'entendis qu'il me reprenoit
Honnestement, sans bruit ne noise,
Pour ce que bien il luy sembloit
Ma demande estre peu courtoise.
Tel aucunes fois se degoise
Qui n'avise ou, ne quoy ne quant.
Bien avisé ne se repent.
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20
IV.
En sourriant, luy respondis
Qu'il estoit permis quelque fois
De soy recroire4 entre amis,
Fust aux champs, en ville ou en bois ;
Mais, si luy plaisoit touteffois,
Volentiers diroye autre chose.
Travail ront l'homme qui ne pose5.
25
V.
« Bien, dist il, me plaisi raisonner
De matiere plus fructueuse,
Et vous plaira me pardonner
Se je fais la chose doubteuse :
L'homme est de vie malheureuse
Qui du temps n'a cure ne soing.
Mal porveu s'écalle au besoing.
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35
VI.
« Vous sçaves des secrès de court,
Comme ambassadeur, ce1 me semble ;
Le bruit va par Londres et court,
Dont a aucuns le penser tremble :
Arons nous paix ? Que vous en semble ?
L'ung n'en scet rien, l'autre devine.
On vit mal ou peuple domine. »
40
VII.
« A ce je puis bien a grant paine
Faire response qui soit seure ;
Dieu conduyt nos fais et les maine,
Et les parfait en temps et heure.
Souvent en desplaist la demeure2
Tant qu'a peu pres on pert espoir.
Deuil est attendre et rien avoir.
45
VIII.
« Ce qui est en conseil des hommes
Est doubteux et branle souvent,
Ne plus ne mains comme le somme
Au chef ennuyé et dolent :
L'ung argue, l'autre deffent ;
Ire s'i foure et passion.
Sot ne vient a conclusion.
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55
IX.
« L'ung conseille1 paix, l'autre guerre,
Chascun en parle d'apetit ;
Il semble a l'ung qui doit conquerre
Bon los2 d'estre fier et despit3 ;
Quelcun craint et se desconfit
Et fait des doubtes ung millier.
Bon sens duit bien au chevalier.
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X.
« Touteffois, puis que vient a dire
Vous semble paix estre si bonne ? »
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— « Bonne, dist il, je la désire
Plus qu'autre bien que Dieu nous donne.
Mon corps et mes biens abandonne
Pour l'avoir. Helas ! paix soit faicte!
Joye sans paix est imparfaicte.
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XI.
« Par paix, on vit en seureté,
Par paix, on se joue, on s'esbat ;
On ne scet qu'est malheureté,
On boit, on mengue a plain plat ;
On couche, on dort, droit ou de plat ;
On danse, on court, on vire, on trote.
Beau temps garde qu'on ne se crotte.
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XII.
« Paix est chose doulce a penser.
Gracieuse, belle et courtoise.
— « Mais qui veult tout1, dis je, espluscher,
Mieulx vault par aventure noise.
Qui l'une et l'aultre branle et poise2
Tost le pourra apparcevoir.
Cherchier fault pour le vray savoir.
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XIII.
« De ce vous me donnés merveille ;
Legierement le puis prouver.
Escoutés et ouvrés l'oreille
Et vous laissés duire et mener.
Je suis content de raisonner
Selon mon povre sentement3.
En parlant vient l'entendement.
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XIV.
« Je dis donc, et est verité,
Que nature humaine est coquine ;
Elle ayme et quiert oysiveté,
Et a le cueur a la cuisine.
S'elie treuve qui la dodine.
Elle chome du jour la plus part.
Ayse fait l'homme estre festart.
95
XV.
« Ou, se1 non, elle tournera
Son fait en quelque paillardise ;
Ou par orgueil riotera
A toy ou aultruy, c'est la guise.
Force est que l'esprit d'homme vise
Ou muse a une autre chose.
Tel est couché qui ne repose.
100
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XVI.
« Paix souhaite2 aise, aise oysiveté ;
Oysiveté songe malice ;
Malice convoite a planté,
Convoiteux n'a loy ne3 justice,
Ou justice n'a, mais a vice4,
Par lequel tout est destourné.
Trop gigue cheval sejourné5.
110
XVII.
« Nous sommes comme pors en l'auge,
Si tost que repos nous aouyle1 ;
Richesses nous viennent a bauge
Esquelles chacun naque2 et fouylle ;
En son ordure l'ort se touylle3,
Et plus en plus s'y envelope.
Moult va droit qui jamais ne choppe.
115
XVIII.
« Paix les delices entretient ;
Les delices font l'homme gourt ;
Hanibal, se bien m'en souvient,
Congneut jadis dont tel mal sourt
Quant a Capuë, comme lourt,
Print ses plaisirs oultre l'enseigne4.
Il n'est si fort qu'aise ne gaigne.
120
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XIX.
« Alixandre, qui tant a de bruit
Comme preux et grant conquerant,
Il gousta de ce mauvais fruyt
Au païs de Perse la grant,
Ou par plaisance cuida tant
Que comme Dieu on l'adoroit.
Qui trop a tost se descongnoist.
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XX.
« Qui amollia le courage
Du douillet Sardanapallus1,
Qui de filler aprint l'usage
Et fut mol comme femme ou plus,
Sinon d'aise l'abondant flus
Et de paix la longue asseurance ?
Apres grant plaisir grant soufrance.
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XXI.
« Pourquoy tumba en la fontaine
Narcisus, et la se noya,
Sinon qu'en paix la souveraine
Ses plaisances tant pourchassa ?
Se Fortune l'eust de pieça2
Travaillé, bien s'en fust retrait.
Vice par mal a bien se traict.
145
XXII.
« Absalon3, le beau chevelu,
Le filz et l'amour de David,
Qui tant le força qu'il voulu
Prendre sa seur a tel delit ?
Il estoit en paix tout confit ;
Aise le suivoit plus qu'a point.
Bien ne scet qui n'est de mal point.
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XXIII.
« Regardés apres quelque peu
Le repos et l'aise des dames,
Qui ne querent qu'esbat et jeu
Et froter leurs dois et leurs palmes,
Dont plusieurs ont esté infames
Et souvent leur en est mal prins.
Trop asseuré est tost surprins.
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XXIV.
« Senyramis, l'Assyrienne,
Quant Belus1 son mary fut mort,
Elle se vit grant terrienne,
Et print son soulas et deport,
Tant que desir l'enflamma fort
D'avoir son filz oultre nature.
Souef nourry ayme luxure.
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XXV.
« Dyna, la fille d'ung Ebrieu2,
A merveille mignote pucelle3,
Oysive et baude4 contre Dieu
Descendit fringante5 et ysnelle6,
Et voulut voir la gent nouvelle.
Elle en fut tout a coup ravye.
Cueur bauld et fol trop se devye.
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XXVI.
« Qui fist aler dame Helaine
Voir Paris qui venoit de Troye,
Fors Gayelle1 la trop mondaine
Qui a Paris luy en fit proye ?
Mignotise chatoule et froye2
Dame qui n'a soing ne besongne.
Nul n'est chaste si ne besongne.
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XXVII.
« Les dames Sabines, jadis,
Regardans les jeux des Romains,
Furent prinses sus estaudis3
Non obstant leurs cris et leurs plains ;
Elles cheurent toutes es mains
De l'ung et l'autre, pelle mesle.
Fol est qui d'autruy jeu se mesle.
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XXVIII.
« Par les Ebrieux preuve mon cas
Qui en servage furent bons ;
Mais, quant manne leur cheut a tas,
Ilz furent ingras des haux dons ;
En leur ost firent [des] chansons,
Adorans l'idole d'ung veau.
L'homme est bon tant qu'il craint sa peau.
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XXIX.
« Pour ce, vault mieulx, ce1 dit le Sage2,
Aler en lieu ou on gemist
Que d'estre en disner davantage
Ou chascun se rigole et rit ;
Car delice ouvre l'appetit
Et le desordonne et desvoye.
Moyen dueil vault mieulx que trop joye.
200
XXX.
« Je n'obliroy point Messaline,
Au temps de Glaude l'emperesse,
Qui en son aise femenine
Fut ville et salle jangleresse3 ;
Jamais ne fut soule de presse
Qu'omme luy fist, tant estoit pute.
Oeuil esgaré tire hors bute.
205
210
XXXI.
« Montons plus hault, jusques au ciel ;
Nous verrons que les grans delices
Engendrerent es anges fiel
Et cheurent d'estas et d'offices.
Qui a tousjours grans benefices
En son aise se treuve abusé.
Plaisir trompe le plus rusé.
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XXXII.
Or, pour mettre fin a ce point,
Congnoissons que Dieu crea l'homme,
Et de labourer luy enjoint
En paine et sueur sans qu'il chome,
Pource qu'en paix mengea la pomme
En son terrestre paradis.
Apres ung mal en viennent dix.
220
XXXIII.
Paix doncques est bien a doubter
Qui fait tant d'inconveniens :
On voit en paix garsons muser,
Estre oyseux en bours et aux champs,
Jouer aux dez et aux berlans,
Hanter bordeaux et tous hasars.
Qui neant fait vit de mauvais ars. »
225
230
XXXIV.
— « Mere de1 Dieu! respondit Sestre,
Quelle oppinion avez, vous ?
Vous2 parlés, ce3 me semble, en maistre,
Car vous estes contraire a tous.
Il n'est rien au monde plus doulx
Que paix, dont estes messager.
Qui vray dit ne se doibt changer.
235
XXXV.
« Se paix est telle que vous dictes,
Qui vous meut de la pourchasser ?
Vous parlés et vous contredictes,
Paix ne se doit ainsi cercher.
Pour Dieu, veuillés vous empescher1
De mieulx parler ou de vous taire.
C'est jeu d'enfant faire et deffaire. »
240
245
XXXVI.
A ce fus contraint de repondre2
Et de deffendre mon honneur :
« Je croy assé, dis je, qu'en Londre
A maint bon et vaillant docteur ;
Mais ne doutés3 et soyez seur
Qu'il n'y a qui ne contredise.
Verité n'a rien qui luy nuise.
250
XXXVII.
« Si dis encore plus avant
Que guerre est bonne et necessaire,
Et trop mileure4 tant pour tant
Que telle paix pourroit on faire ;
Nature assés le nous declaire,
Ce n'est point moy qui telz ditz treuve.
A toute doubte fault la preuve.
255
XXXVIII.
« Quatre elemens sont en nature
Tous de diverse qualité,
Et entre tous eulx tousjours dure
Et durera diversité :
Car, se n'estoit l'iniquité,
Tout seroit feu, eaue, aeir ou terre.
Nature y a mis ceste guerre.
260
265
XXXIX.
« Ceste guerre est dedans nos corps
Des l'heure que fumes engendrés :
Qui est qui ne voit les discors ?
Pensés y, vous les entendrés ;
Le froit et [le] chault congnoistrés,
De sec et de moyte le bruyt.
Sans tel discort l'homme est destruyt.
270
XL.
« Encore y a autre discort
Qui dedens nous se fait et maine ;
L'ame et la char ne sont d'acort.
L'une est rassize et l'autre vaine ;
L'ame doit estre souveraine
Et la char doit estre subjecte.
Ennemy vainc qui ne s'en guette.
275
280
XLI.
« Par ces1 deux l'homme est peloté
« Ça et la, et ne scet qu'en faire :
Raison le dresse a verité,
Sensualite, au contraire,
Tant2, qui3 se tourbe4 en son affaire
Et fait souvent ce qui5 ne veult.
Grant dueil a qui veult et ne peust,
285
XLII.
« En tel debat vertu se monstre
Et les bons y prennent merite ;
C'est ung fier et merveilleux monstre
Que la char qui tant est despite6 :
Victoire n'y a pas petite
Qui la peut renger et bien duyre.
Tel n'aide rien qui peut bien nuyre.
290
XLIII.
« Par ce moyen tout nostre cas
Est en guerre continuelle,
Ce que Nature ne fait pas
Sans que Raison soit avec elle ;
Autrement trop seroit cruelle
Se pour noiser nous avoit fait.
Je croy que mal rent pour bien fait.
295
300
XLIV.
« C'est la Raison qui meut Nature
De mettre en l'homme telle1 guerre,
Affin qu'il n'y mist trop sa cure
D'avoir son paradis en terre,
Mais qu'il se penast de conquerre
Par ses haulx faiz honneur et gloire.
Bon cueur combat pour la victoire.
305
XLV.
« Et pour mieulx voir, que je ne faille,
Voyons la nature des bestes :
Entre elles toutes a bataille
Et se menguent et piedz et testes ;
Voiez les noises et tempestes
Que Nature a produit en elles.
Nulle gent n'est qui n'ait querelles.
310
315
XLVI.
« Les chatz poursuivent les soris ;
Les chiens persecutent les chatz ;
Le loup menguë les brebis ;
Le loutre poisson maigre ou gras ;
Le regnart [fait] plusieurs fatras2
Pour decevoir coq ou geline3.
Chascun a chose qui le myne.
320
XLVII.
« Esprivier1 quaile persecute ;
Furon2 suit3 apres le connin ;
Le lyon contre l'ours s'abute4,
Et triacle5 het le venin :
Et l'eaue est contraire a bon vin ;
Le vent gaste la forte espice.
Qui n'est fort use de malice.
325
XLVIII.
« Et l'air les vens contraires sont ;
En mer ont guerre les poissons,
Et les estoilles au ciel ont
Qualités6 de moult de façons ;
Feu, tonnoire, naige, glaçons
Ont des planetes leur naissance.
Rien, fors Dieu, n'est sans dissonance.
330
335
XLIX.
« L'homme, mesmes, combien a il
D'ennemis qui luy font bataille ?
Il en a plus de trente mil,
Comme pous et telle mardaille :
Puces, taons de grosse taille
Fievre, pierre, bosse7 et colique.
Il n'est homme qui n'ait sa picque.
340
L.
« Melancolie et vermoquant1
Rompent la teste tous les coups ;
Ire et despit, le mal plaisant,
Luy font enfler vaines et poulz ;
Amour le fait estre jaloux,
Dont frenesie le tempeste :
Plaisir n'y a en telle feste.
345
350
LI.
« Et que dirés vous de nous mesmes
Qui mettons en nous le discort ?
Tant on en voit tristes et blasmes
Qui avec eulx n'ont paix n'acort :
L'ung est musart, l'autre se tort2,
Et luy de luy se frappe et fiert.
Mal doit avoir qui son mal quiert.
355
LII.
« Or, puis donc qu'en tous endrois
Guerre se broulle3 et entremet,
Cuidons nous avoir aultres drois
Que Dieu et Nature n'ont fait ?
Ilz ont mis partout leur effect
Pour estre en son temps convenable.
Au besoing on s'aide du diable.
360
LIII.
« Se pourfitable n'estoit guerre,
Jesucrist n'eust dit, ne n'eust peu1,
Qu'il n'estoit point venu en terre
Pour mettre paix, mais glave et feu :
Volu a que par tout soit seu
Que paix mondaine n'est pas bonne.
Qui scet et veult tout bien ordonne.
365
370
LIV.
« Guerre est de mal preservative
Contre paix et oysiveté,
Et d'autre part est purgative
Des biens qu'on a mal acquesté :
Par elle est homme exercité
En tout soing que mal ne l'acueille.
Mal tourne a bien mais qu'on le vueille.
375
LV.
« Tout ainsi que trop long repos
Remplit le corps de grans humeurs
Tant qu'il fault, par doze2 et syrops.
Evacuer hors les douleurs ;
Ainsi paix enfle les mileurs
Et les rent bouffis chascun jour.
Santé n'est pas en ung séjour3.
380
385
LVI.
« Par guerre on met les oyseux1
Aux armes pour les faire et duyre,
Qui autrement seroient hargneux
Et ne feroyent qu'aux bons nuyre.
Guerre fait les pecheurs reduyre2,
Et aux bons croist la Providence.
Du mal fait bon avoir science.
390
LVII.
« Se tirant n'eust persécuté,
La gloire des sains fut ternie ;
Des grans clercs le nom n'eust esté
S'il n'estoit aucune heresie ;
Chevalier n'aroit3 jalousie
En longue paix de porter lance.
Vaine picquée son sang lance.
395
LVIII.
« Regardez mesmes qu'en tous jeux
Les joueurs sont en diference ;
Chascun y est prompt et songneux
Qu'il ait de gaigner apparence ;
Coup contre coup, chacun s'avance
De peloter dez ou pelote4.
Fol et sage y garde sa cotte.
400
405
LIX.
« Au peril voit on qui est fort,
En grant mesaise pacience,
Entre deux trompeux qui a tort,
Entre estourdis la sapience,
En grant poour la confidence.
En argent d'aultruy le preudhomme.
Guerre fait prendre sobre somme.
410
LX.
« Comme blé de jarbe1 s'escout2
Au flayau3 et sault hors de paille,
Ainsy l'endormy sault debout
S'il oyt bruyt ou cry de bataille ;
Il craint [lors] que le debat aille
Autrement qu'il n'a le vouloir.
La fain fait eveiller le loir.
415
420
LXI.
« Guerre est de Dieu le grant flaeil4
Et le mailet de sa justice,
Qui est aux bons paix et conseil
Et terreur au gourt et au nice ;
Car par luy cueur qui dort en vice
Se reveille et vers Dieu retourne.
Bon fait mettre a son peché bourne.
425
LXII.
« Guerre nous vault ung retraintif
Pour serrer nos affections,
Et pour reprimer le motif1
De nos folies conclusions.
Tost acoustre ses passions
Qui de disette attant l'assault ;
Soussy chastre le cueur [trop] bauld.
430
LXIII.
« Quant Hanibal serroit les portes
De Romme, et pres des meurs2 estoit,
Moult de mal de diverses sortes
Cessa, qui devant s'i faisoit,
Pource qu'en paour, nul ne pensoit
Que soy deffendre a diligence.
Paour amende la conscience.
435
440
LXIV.
« Or, puis doncques que elemens
En terre par tout et en mer
Au ciel, es estoilles, es vens
Et en nous mesmes sans cesser,
Guerre regne et veult dominer,
Quelle paix querons nous avoir?
En grant riotte est3 povre avoir.
445
LXV.
« Guerre est par tout et contredit,
Vous l'entendés par mes raisons :
D'elle fault faire son profit
Et des mulles en leurs saisons ;
Guerre a fait de bonnes maisons
Et eslevé plusieurs chetifz.
Tout vault a ceulx qui sont soutilz. »
450
455
LXVI.
Sestre lors fort s'esmerveilla
Et me dist comme mal content :
« Celluy tres mal se conseilla
Qui vous fist estre de sa gent ;
Vous avés propre mandement
De paix, et vous querés discort.
Tel rit duquel le parler mord.
460
LXVII.
« S'il est ainsi que guerre vaille,
Guerre soit, boutons par tout feu ;
Mourir je ne vueil qu'en bataille,
Maison n'auray, ne feu, ne lieu ;
Car puisque Dieu nous a pourveu
De vivre, en debat combatons.
Pour soy bien sauver combat homs1. »
465
LXVIII.
— « Sestre, Sestre, se1 luy respon ge,
Prenés mes ditz par bon endroit ;
J'ay dit et encore2 le dis je
Qu'il est de pais de mal endroit,
En laquelle homme ne vauldroit
Sinon estre oyseux et gaudir.
Bien n'est bon dont vient desplaisir.
470
475
LXIX.
« Paix avoir avec ses pechés
Est une paix tres dommageable ;
Elle rent les faulx empeschés
Qui ont le cueur abhominable,
Ceste paix n'est pas véritable3.
Quant peché plaist et Dieu ennuye,
Bon est que telle paix ou fuye.
480
LXX.
« Je despise paix par laquelle
On veult avoir biens temporez ;
La paix de Sodome fut telle,
Qui ot tant de biens preparés
Que par desirs desordonnés
Avec Gomorre feu gloutist4.
Payne suyt apres le delit.
485
490
LXXI.
« Paix qui donne l'occasion
De soy nourrir en ort plaisir,
De complaire a sa passion
Autant que corps y peut fournir,
Se1 doit despriser et fouyr,
Car elle est de vertu maratre.
Plus nuyt flateur que qui veut batre.
495
LXXII.
« Paix qui fait l'homme transgresseur2
N'est paix sinon pour decepvoir ;
Debat en tel cas est milleur
Et seroit plus seur guerre avoir.
Ainsi j'entens, a dire voir3,
Que riotte vault mieux que paix.
Seurement marche qui a fès4.
500
LXXIII.
« Quatre [paix] sont dont je n'ay cure ;
La premiere est avec le dyable,
Car il est menteur et parjure,
Grant barateur5 et non creable,
Envieux de bien pardurable,
Et ennemy d'humain lignage :
Du diable ne vueil foy ne gage.
505
510
LXXIV.
« De luy sont sors et ars magiques,
De luy sont sorciers et Vauldois1,
Charmes, enchanteurs heretiques,
Esprits familiers quelque foys,
Divinations, faulx explois,
Nygromance et ydolatrie.
Sage est qui de telz maulx se trie.
515
LXXV.
« La seconde est trop familiere ;
C'est de la char qui, doulce amye,
Laquelle est si doulce chambriere
Qu'elle veult qu'on la seigneurie,
Mais peu a peu, par flaterie
En doulx desirs nous assommeille.
Mal couvert plus qu'aultre travaille.
520
525
LXXVI.
« Ceste2 mignote3 jangleresse4
Nous sert de tous joyeulx plaisirs.
Boire, menger, vivre en sa gresse,
Prendre et user de tous desirs,
Hanter femmes a grans soupirs,
Abuser des biens de nature ;
De paix de char n'est rien qu'ordure.
530
LXXVII.
« La tierce paix qui est du monde,
Est plaine de maulx bien hydeux :
Orgueil le haultain y abonde
Avec Bobanc1, le glorieux ;
Le Treicherre2 malicieux
Y est avec sa seur Rapine,
Le monde a moult de maulx encline.
535
LXXVIII.
« Vaine Gloire y vole a grans elles ;
Si fait Despit de son prochain.
D'autre part sont guerres mortelles,
Puis Pauvreté, Lang[u]eur et Fain,
Crainte, Paour, Ire sans frain,
Dur Desespoir et Mort soudaine,
Paix ne vault ou tant a de paine.
540
545
LXXIX.
« La quarte paix n'a rien d'honneste,
C'est des ribleurs mauvais garsons,
Qui n'ont paix fors pour mener feste
Ou estre meurdriers ou larrons :
Ilz font guet en rue et cantons,
Et quierent de mal l'achoison3.
Pour plume avoir, plumon l'oison.
550
LXXX.
« Qui a telz gens prent accoitance,
Il s'en treuve mal adoubé1 :
Il pert tout a dez ou a chance2,
Il desrobe ou est3 desrobé;
De vin ou femme est attrapé,
Et le plus souvent du gibet.
Le jeu vault tant comme on y met.
555
560
LXXXI.
« Avec telz quatre ennemys
J'ayme mieulx guerre que la paix ;
Car, quoy que disent telz4 amys,
Ilz n'ont que travail a jamais.
Le plus qu'ilz ayënt sont soubjès
Ou effroy de leurs démérites :
Tel est le gain que les merites.
565
LXXXII.
« Et, se vous voulés demander
Quelle paix je quiers et attens,
Difficille est de la trouver
Selon le cours de nostre temps :
Touteffois Dieu conduit les gens
Pour le mieulx, ainsy qu'il luy plaist.
Que a bon juge a peu de plaist5.
570
LXXXIII.
« Justice et Paix sont seurs germaines,
Filles de Dieu tout d'ung aage,
Si tres conjointes et prochaines
Qu'entre elles n'a sort ne partage.
Justice plane le passage
Par lequel1 Paix va, vire et vient.
Sans Justice Paix ne se tient.
575
580
LXXXIV.
« Justice garde equalité.
Et rend a chascun sa desserte2.
Elle fait en tort equité,
Et recompense ou y a perte :
Par ce point la porte est ouverte
Pour entrer Paix et converser.
En chemin plain fait seur aller.
585
LXXXV.
« Justice garde ville et bourgs,
Royaulmes régit et empires.
Sans elle, tout va a rebours ;
Tousjours sans elle sommes pires.
Elle congnoist de toutes tires3
Qui cloche du pied ou va droit.
Terre est en paix ou y a Droit,
590
595
LXXXVI.
« Justice est tant fort necessaire
Que sans elle tout tumbe et fault.
Les injustes en ont affaire ;
Le larron sans elle ne vault,
Car, s'il ne partist1 comme il fault
Aux siens le butin, on le laisse.
Justice maine tout en leesse2.
600
LXXXVII,
« Ayons Justice, Paix viendra.
N'entreprenons rien sur aultruy ;
Rendons, s'aucun de nous en a,
Et plus tost hier qu'aujourd'huy.
Nul ne face mal nesqu'a3 luy ;
Gardons l'ordre de charité.
Paix ayme par tout equité.
605
LXXXVIII.
« Telle paix est bien a priser
Qui sans mal engin se poursuit,
Qui veult, sans plus parfont4 puiser,
Ce qui au commun sert et duit ;
Mais5, quant avarice conduit
Ce que vertu doit pourchasser.
Homme pour prendre veult chasser.
610
615
LXXXIX
« Paix est si bonne de sa part
Qu'elle veult qu'on l'ayme et la prise,
Sans y querir glic1 ne hasart2
Que de vertu en elle assise3.
Celluy qui en fait marchandise
Abesse trop fort son honneur4.
Chysse5 marchant pert tost son eur.
620
XC.
« Telle paix que j'ay dit nagueres6
Se peut dire bonne a merveille,
Quise et amée d'anciens peres
Comme chose qui n'a pareille.
Repos et amour appareille
L'ung avec l'autre en seureté.
Ou paix a n'y a povreté.
625
630
XCI.
« Bien nous appert7 de ses louanges
Et des grans biens dont elle est plaine,
Quant Dieu la mist en ses bons anges,
Et depuis en nature humaine,
Lors que, par amour souveraine,
Fist la paix du mors de la pome.
Pour bien de paix Dieu se fist homme.
635
XCII.
« L'ange que1 sa venue nunça
Luy mist a nom prince de paix ;
Et, quant la Vierge l'enfanta,
De nuyt en moult povre palais,
Les anges de Dieu, bons varlès,
Crierent la paix hault et cler.
Paix vault mieulx que targe ou boucler.
640
XCIII.
« Jhesus en temps de paix naquist
Pour monstrer2 que paix luy plaisoit ;
Il la prescha et si la quist3
Par tous les lieux ou il aloit,
Car, a l'entrer, dire faisoit :
« Paix soit par tout en cest hostel !
Qui le veult suivir4 face autel. »
645
650
XCIV.
« Du salut de paix salua
Tousjours ses apostres et amis,
Et par ce5, bien nous enseigna
De faire ainsi en tous pays.
Celluy qui foy luy a promis
Ne luy doit en rien contredire.
Serviteur doit aymer son sire6.
655
XCV.
« Paix nous reconseille1 avec Dieu
Du quel nous tenons tout nostre estre ;
Paix met repos en chascun lieu
Et si fait l'homme se congnoistre,
Elle maintient moynes en cloistre,
Vielle a filler, chevre aux champs.
Paix paist2 le riche et les meschans.
660
665
XCVI,
« Paix fait florir bois et prarie,
Bestes paistre en val et en mont.
Par elle, on va seur en Surye
Et ça et la par tout le mond ;
Marchans par mer et terre vont
Communiquer les biens de terre.
Fol est qui paix ne veult acquerre.
670
XCVII.
« Par paix les villes et cités
N'ont que faire de clorre porte ;
Povre et riche, de tous costés.
Y vient, a toute heure apporte.
Le povre menguë sa torte.
Ses aux, [ses] oingnons sans cremeur3.
Pain sec, en paix, a grant saveur.
675
XCVIII.
« Villes florissent en justice ;
Chascun a le sien sans argu1.
L'Eglise fait a Dieu service ;
Le larron est prins et pendu.
Droit est gardé et deffendu ;
Sainte parolle y est oye.
Qui paix n'ayme ne s'ayme mye2.
680
685
XCIX.
« On y voit maisons reparer,
Eglises faire et hospitaulx,
Donner au povre et aumosner,
Subgès obeir et vassaulx ;
On y congnoist les biens des maulx ;
Verité s'y montre et decoeuvre :
En paix voit on qui fait bonne euvre.
690
C.
« Mariages et aliances
Se procurent pour amys faire ;
Les souspecons et deffiances
N'ont en tel temps aucun repaire3.
On n'y oit ne crier ne braire4 ;
Chascun donne secours aux siens :
Telz furent les premiers anciens.
695
700
CI.
« Estudeset clercs y florissent ;
Savoir y a bruit et honneur ;
Bas et moyens les sages prisent ;
On n'y congnoist nul hoqueleur1 ;
On tient es cours2 bonne rigueur ;
Pratique n'y a jour ne delai.
En paix congnoist on clerc du lay.
705
CII.
« Les princes font jeux et tournois
Pour exerciter leur noblesse ;
Ilz font editz et justes lois
De paour que l'ung l'autre ne blesse ;
Ilz ne souffrent debat ne presse
Estre commise a leurs subgés :
Tous, par bon roy, sont soulagés.
710
CIII.
« Par ce moyen, il est permis
Aler gayement par les boys
Corner, chasser dains et connis3,
Oyr du rossignol la voix,
Voler4 perdrix et tendre roiths5
Pour prendre cane et cormorans.
Il n'est plaisir que par bon temps.
715
720
CIV.
« On besongne en plaisant repos,
On se repose en labourant1 ;
On scert Dieu a chascun propos,
On acquiert grace en desservant2 ;
Il n'y a maistre ne servant
Qui n'ait paix en sa conscience.
Qui paix a, assés a chevance.
725
CV.
« Dieu n'est jamais mieux honnoré
Ne servi qu'en temps pacifique ;
Le cueur y est mieux preparé,
Et volentiers a bien s'aplique ;
L'Eglise est noble et magnifique
De bons prestres et d'ornemens.
Paix est tresor de saintes gens.
730
735
CVI.
« Tel temps jadis fut apellé
L'Age Doré pour sa valeur,
Jamais n'y fut mal appellé ;
Nully n'y proposa erreur ;
Saturne estoit roy et seigneur,
Paisible a merveille et bon roy :
Bon prince met tout en arroy3. »
740
CVII
A ces parolles, Je vis Sestre
Qui sourrist un peu, et puis dit :
« Vous me menés ou je veul estre,
Et parlés a mon appétit,
Car Dieu jamais oeuvre ne fist
Meileure que paix, ce1 me semble :
Paix comprent tous les biens ensemble.
745
CVIII.
« Or, j'ay plusieurs fois entendu
Que l'omme, entre autre creature,
Fut produit au monde tout nu,
Sans cornes, bec, ongle n'armure,
Pour ce qu'il a sa garniture
D'entendement et de raison.
Sens conduict l'homme en sa maison.
750
755
CIX.
« A ceste cause luy est force
De aymer Dieu et son prochain,
Garder que son voisin n'efforce
Et ne luy face aucun mehain2.
Qu'il mette aussi pour lui la main
Comme il vouldroit bien qu'on luy feist :
Charité dur cueur adoucist.
760
CX.
Mais, s'il voust piaist, ne vous soit grief1,
Puis que Paix est si bonne mere,
De nous parler ung peu a brief
Dont2 nous vient la dure misere
Que, en nostre vie tant amere,
Dieu ne nous donne ceste paix :
A faible espaule legier fès. »
765
770
CXI.
« — Sestre, luy dis3 je, mon amy,
Vostre doubte n'est pas petite ;
Peu de gens sont, pour le jour d'huy
Qui s'en peussent bien faire quitte ;
Ne moy aussi, sans contredicte,
N'en puis les causes bien sçavoir.
En lieu obscur ne peut on veoir.
775
CXII.
« Touteffois, selon qu'on congnoist
Des secrès de Dieu disonent4,
Dieu nous chasse et nous descongnoist
Pour nos grans pechés bien5 souvent.
Lesquelz, quant on est negligent
De punir, Dieu s'en mal contente :
Justice ayme ame penitente6.
780
CXIII.
« Je croy aussi que grant planté
Et habondance de richesse
Cause et fait la malheureté,
Que paix nous fuit1 et nous delesse.
Ou il y a de biens largesse
Orgueil se boute et esmeut noise.
Peu chault a fol ou le bruit voise2.
785
790
CXIV.
« En tel cas le dyable se mesle,
Du quel l'homme point ne se doubte ;
Il y souffle ire et entremesle
De courroux la despite route ;
L'homme par fureur n'y voit goutte,
Il se veult venger ou acroistre :
Dyable esmeut bien debat en cloistre.
795
CXV.
« On voit aussi le plus des jours3
Que de Dieu nous ne faisons compte ;
Nous sommes aveugles et sours
Quant quelque ung ses lois nous racompte :
Nous n'avons point volenté prompte
D'acomplir ce4 qui5 mande et veult.
Qui n'obeyst paine l'acœult.
800
805
CXVI.
« Avec ce, nous somme1 insensés
Et ne savons considerer
Les doubles dont y a assés
Et la guerre qu'on veult mener :
Car qui scet bien examiner
Combien doubteuse en est l'issue,
S'il n'est tout fol, le front2 luy sue.
810
CXVII.
« Cresus s'en sceult3 bien ou tenir
Qui pour croistre sa seigneurie,
Fist de son lieu son ost partir
Oultre Haly4, fleuve d'Asye ;
Il perdit luy et sa maygnie5
Et fut serf de son ennemy :
En hasart tout met l'estourdy.
815
CXVIII.
« De vieux exemples assés ;
Mais les nouveaux ont plus de foy,
Et vous certes assés congnoissés
Les fais de Richart vostre roy6 :
D'autres aussi bien je congnoy
Qui furent cause de leur chute.
Fort a fort sans danger delute7.
820
825
CXIX.
« Quatre ducs furent Bourguignons,
Dont assez fresche est la memoire ;
Desquelz les ungz sont sages et bons,
Les autres ont eu tant de gloire
Et d'entreprinse transitoire
Que leur maison en est confuse.
Eaue qui trop croist ront son escluse.
830
CXX.
« Par ceste coquarde1 imprudence
Nous ne pensons point aux dommages
Ne aux lourdes et grandes despences2
Que guerre fait, ne les oultrages.
Tout y va, corps, ame, biens, gaiges ;
La vie y branle, et nostre estat :
Ung seul coup donne eschec et mat3.
835
840
CXXI.
« Telle entreprise est de victoire
Pour pugnir le mal, ce4 dit on :
Je dis, moy, que c'est vaine gloire,
Et pour aultre ne combat on ;
Ars5 et trousses nous eslevon
Et nous mirons au lustre d'armes ;
Les mignons y sont les mains6 fermes.
845
CXXII.
« Tel cuide bien guerir la plaie
Qui peut estre l'empire fort ;
Tel s'esmeut, rechine et abaye
Qui reveille le chat qui dort.
Tel dit avoir droit qui a tort ;
Tel se tue qui rien ne gaigne ;
Tel fiert1 autruy qui se meshaigne2.
850
CXXIII.
« Olofernes bien le congneust
Quant Jherusalem3 assiega ;
La noble Judic le deceupt
Qui la teste luy emporta.
Catiline aussi dueil porta
De soy eslever contre Tulles4.
Garde toy que tu ne reculles.
855
860
CXXIV.
« Sombresset5 aussi, le feu conte,
Au dernier siège d'Orleans
Eut a son oste6 mauvais compte,
Qui fut tué d'ung cop leans7 ;
Ses gens qui la estoient seans
Se departirent tous confus.
Les plus rouges y sont deceups.
865
CXXV.
« Or prenés, comme plusieurs pensent,
Qu'ilz aient assez juste querelle :
S'ilz sont sages, ilz contrepensent
Que mal en seuffre leur cervelle1 ;
Souvent leur vient autre nouvelle
Qui n'ont pu croire ne sçavoir.
Mal non preveu fait moult douloir.
870
875
CXXVI.
« Qui estime son adversaire,
Foible en arme2 ou mal acoustré
Se voit par son cuider deffaire ;
Plusieurs l'ont autreffois monstré ;
Ils ont plus dur que eulx rencontré
Qui leur a foncé leurs hyaulmes3.
Guerre fait perdre mains4 royaulmes.
880
CXXVII.
« Prince qui a guerre se meut,
Foulle son peuple de grans tailles ;
Le fort et le foible s'en deult
En biens, en argent, en vitailles ;
Et tel n'a blanc, escus ne mailles
A qui on hoste5 lit et couche.
On a veu roy porter la pouche6.
885
CXXVIII.
« S'il marche avant, dedans Paris,
Tout y va de croq et de hanche1 ;
Il n'y a buffet ne chalis,
Maison, n'eglise qui soit franche
Femme y seuffre force et grevance ;
L'espee espant sang par fureur ;
Le pire en guerre est le mileur2.
890
895
CXXIX.
« Justice est de prendre et rober ;
Tout y est permis et licite ;
Le meurdrier a beau parler3 ;
Chascun a mal l'ung l'autre incite ;
S'en telle guerre estoit hermite
Il pilleroit femme et enfans.
Chat enragé mengue ses fans4.
900
CXXX.
« Feu par tout se boute et alume ;
Villages ardent jusques aux fons ;
Il destruit chasteaux et consume
Les lieux et places des barons5 ;
Rien ne demeure aux environs
Que les saquemens6 tiennent sainc*.
Villain cueur aultruy dueil ne plaint.
905
910
CXXXI.
« Peuple s'en fuit, terre est deserte ;
Il n'y a paille, vin ne pain ;
Tantost en guerre on voit la peste1,
On crie au meurdre et a la f[a]in :
La mere plaine de meshain2
Y a cuit et mengé son filz,
Tant est cueur famileux3 louvis4.
915
CXXXII.
Entre tant de maulx et d'injures
Nul n'y a qui bien se contente ;
Les vainqueurs ont de grans murmures,
Car ilz n'en ont point mieulx de rente ;
Ilz ont perdu bagues5 et tentes,
Despendu harnoys et chevaulx :
Pour neant6 porte fol tant de maulx.
920
CXXXIII.
« Pour ceste cause les gendarmes
Se combatent souvent par piles7 ;
Ilz font entre eulx de grans vaquarmes
Et esmeuvent guerres civiles :
Ilz destruisent eux et leurs villes ;
L'ung8 tue, l'autre bat, l'autre grynce.
Tout le bon eur n'est pas au prince.
925
930
CXXXIV.
« Par vous mesmes le povés veoir ;
Le temps passé vous en fait sage1.
Vous aves eu moult beau miroir
Depuis ving ans sur ce passage ;
Vous avez tins2 piteux maisnaige
De changer et rechanger roys.
Prince n'est seur en telz destrois3.
935
CXXXV.
« En tel desarroy l'homme oublie
Soy mesmes et sa condition ;
Il prent fiere et cruelle vie
Et laisse humaine affection.
Sans espoir de condition4,
Il cuide estre en cest estat né.
Guerre fait l'homme forsené.
940
945
CXXXVI.
« Nonnain despite froc5 et faille6,
Le chartreux y devient farouche,
Il ne chault au clerc comme il aille,
Vertu luy est a grant reprouche7,
Il n'a rien a mettre en sa bouche ;
Il se fait vil et est soulart :
Grant povreté fait le paillart.
950
CXXXVII.
« Apres telle vie, a grant paine
On remet les choses en ordre1 ;
On a beau mettre gens en gayne2,
Frapper de verges et detordre3,
Nul ne veult son mal fait remordre4 ;
Coustume les a mis en train.
Lyon farouche ne prent frain.
955
CXXXVIII.
« Tant de maulx a paix comparés
Font congnoistre que paix proufite ;
Point n'aves tort se desirés
De paix le bon et hault merite.
Elle est des aultres biens l'eslite
Qui en use selon droicture,
Sans paix ne dure creature.
960
965
CXXXIX.
« Prince qui change paix pour guerre
Est cause des maulx qui en viennent :
Il fait orphelins leur pain querre5,
Par luy grans6 pechés s'entretiennent,
Par luy garsons7 grans se soustiennent ;
Et faucile devient baniere.
Prince doit mettre en tout8 maniere9.
970
CXL.
« Car, posé ores qu'il conqueste
En aultruy terre, bourg ou place ;
Venir peult en telle tempeste
Que force sera qu'il desplace ;
Ung temps vient comme l'autre passe,
Qu'on boute regnart1 du perthuys.
Tousjours n'est pas le dyable a l'huys.
975
980
CXLI.
« Que proffite a vos precesseurs2
Le bruyt qu'ilz orent en la France ?
Que proffite aux autres seigneurs
Avoir vaincu gens a oultrance ?
Ilz3 n'ont pas fait grant demorance
Es païs par eux conquestés :
Biens mal acquis sont tost ostés.
985
CXLII.
« Les François jadis es Itales
Furent seigneurs pres de cent ans,
Et es parties principales
De Judée furent moult puissans ;
Mais tost apres, par cours de temps
Ilz4 n'y laisserent que leur nom.
S'on prent bien, aussi le rent on.
990
CXLIII.
« Car on voit par experience
Que nulle gent sur autre regne,
Que tantost1, en grant deffidence2,
Le vaincu ne treuve sa renne3,
Et son courage ne reprengne,
Tant qu'il recoeuvre liberté.
Fait de guerre n'est point arté4.
995
1000
CXLIV.
« Les Dannois jadis et Saxons
A vous, Anglois, firent grans armes ;
Ilz5 n'y gaignerent deux oygnons
Non obstant leurs grans vuaquarmes ;
Car, apres vos pleurs et vos larmes,
Ils vous laisserent6 telz que quelz.
Fort ennuyr n'est pas conquestz.
1005
CXLV.
« Que vault aux Normans maintenant
Se Guillaume le duc vous prist ?
Je croy qu'en la guerre faisant
En son païs maint povre fist,
Et, combien qu'alors vous conquist,
Vous n'estiés Normans, n'eulx Anglois.
Chascun païs garde ses lois.
1010
1015
CXLVI.
« Vous dictes avoir plusieurs tiltres,
Et ainsi vous le querellés
Que France, par drois non sinistres1
Vous compete et que vous l'arrés2
Je croy, quant bien vous conferés3
Vos mises4, peu vauldra le jeu.
Bien assailly, bien deffendu.
1020
CXLVII.
« Sanglier pris a trop de levriés5
N'est pas gaigné, car trop il couste ;
On y pert matins et limiers
Et souvent celluy qui s'i boute.
Tres mauvaise est la malle couste6
Dont le recepveur pert ses gages.
Gardés l'ostel, vous serés sages.
1025
CXLVIII.
« Lessons le monstier7 ou il est :
Qui est Anglois pour tel se tienne;
Qui est François le soit de fait ;
L'ung bon voisin l'autre soustienne.
Paix soit faicte, et ne nous souvienne
De bruict, de noise ne de guerre.
Vive France, vive Engleterre !
1030
1035
CXLIX.
« Jamais Françoys bien ne saura
Jurer bi God1, ni brelaré2,
By my trost3, my pourfitera
Ne maistre, milord ne seré4 ;
Anglois aussi, tant soit curé
Ne formera bien Pinqueny1 :
Nature a bien tout départi.
1040
CL.
« Pour ce, s'aucun vous veult mouvoir,
Sachés qu'il joue au malcontent6,
Et qu'il veult a son cas pourvoir
Combien qu'il n'en face semblent ;
Mais il se montre bien voulant
Et [par] vos mains [il] se veult croistre7.
Il fait bon le mauvais congnoistre.
1045
1050
CLI.
« Deux voisins avoient jadis
Ung puissant homme leur voisin,
Auquel estoient ennemys,
Et luy menoient grant hutin8 :
L'ung et l'autre queroit butin,
Disant que le riche avoit tort.
Envye ne meurt jamais ne dort.
1055
CLII.
« L'ung s'en vinst a l'autre et luy dist
Qu'il s'esmerveilloit grandement
Que son grant père tant conquist,
Et il estoit si negligent
Qu'il ne s'adouboit1 autrement
De si grant tresor recouvrer.
Qui quiert richesse, il doit ouvrer.
1060
CLIII.
« Chascun dit qu'il est en tel lieu
Bien avant soubz une croix blanche ;
Vous estes assez près du lieu,
Fouyr y povés a puissance ;
Dictes que pelles ou avance,
Et qu'on besche en terre par font.
Plusieurs en parlent ; moult peu2 font.
1065
1070
CLIV.
« Mais, pour en tout mieulx besongner,
Commencés y de vostre grace.
L'autre crut et fist assayer
Des le fondement de sa place ;
Il feist ung trou de grant espace
Pour d'illec aler au tresoir3.
Plusieurs sont plains de vain espoir.
1075
CLV.
« Moult de gens furent empeschés ;
Car, en mynant, pierres tumboient ;
Les ungs droit les autres couchés
En mynant tousjours cheminoient ;
Bien leur sembloit ja qu'ilz1 avoient
Percé jusqu'au pié de la croix :
Mal cherce qui ne scet l'endroit2.
1080
1085
CLVI.
« Le voisin, qui conseil donna,
Y envoya aide et secours ;
Mais depuis il contrepensa
Les hurs3 de Fortune et les tours :
Il vient souvent tout le rebours
De ce que homme pense et ravasse.
Tres mal estraint qui trop embrasse.
1090
CLVII.
« En regardant la myne large,
Il se doubta de grant ruyne,
Et se recula de la charge
En faisant tousjours bonne myne ;
Or, comme il advient qu'on devine
Son malheur, l'autre eut deffiance.
Seur n'est qui prent d'autruy fiance.
1095
CLVIII.
« Or, tout soudain comme ilz minoient,
De la croix sort bruit espantable1,
Tant qu'a peu tous y cuidoient
Y avoir perte trop coustable :
Pour prendre brochet trop couste able ;
Le voisin s'en trouva trompé.
Tousjours pert qui est attrapé.
1100
1105
CLIX.
« Il vit son voisin le lesser
Et au riche faire aliance ;
Il veöit pierres trebucher
Ça et la par folle ordonnance ;
De sa part il vit grant muance,
Et entre ses gens grant desroy.
En grant bruyt mal seur est le roy.
1110
CLX.
« De leurs mines furent boutés
Les pyonniers et s'enfouyrent ;
Ils furent plus contens que assés
Que corps et vie n'y perdirent,
Et depuis entre eulx guerre firent,
Ou y tuerent roys et ducz.
Fol est qui quiert trésors perdus.
1115
1120
CLXI.
« Le riche, a qui fut la croix blanche
A tous deux fut depuis conjoint,
Et tant qu'apres longue souffrance
L'autre en sa terre fut rejoint. »
Sestre entendit1 de point en point
Que je die pure vérité.
Avoir doit qui l'a mérité.
1125
CLXII.
« Cest exemple nous admoneste
De non chercher chose mal seure,
Car celluy doit tousjours de reste
Qui de rober aultruy labeure :
Jamais la prinse ne demeure
Qui ne soit d'aultruy recouverte ;
Denier ne vault dont s'ensuit perte.
1130
CLXIII.
« Et il advient, comme on a veu
Que tel part2 et laisse son estre3
Qui a son retour n'est receu,
Et qu'en son lieu a aultre maistre.
Trop mieulx vault dont4 de s'en5 remettre
D'estre content de ce qu'on a6 :
A droit rent qui a tort prins a.
1135
1140
CLXIV.
« Le roy Arnoul qui fist la diesme1
Que vous, Anglois, paiez2 a Romme,
Il partist plus que luy centiesme
Veoir les sains lieux comme preudhomme ;
Il s'en repentit, le saint homme,
Car son filz usurpa son sepstre.
S'en filz n'a foy, ou peult elle estre ?
1145
CLXV.
« Celluy est sage réputé
Qui son estat conduit et garde,
Qui n'est convoiteux n'aheurté3
De prendre a trop de lieux moustarde4,
Qui soingne que la maison n'arde,
Content de sa bonne fortune.
Trop quiert qui veult happer la lune.
1150
1155
CLXVI.
« Ung chien passoit sur une planche,
Portant en sa gueule du lart :
Il en vit l'umbre et eut creance
Que ce fust beaucoup meilleur part ;
Il luy en vint mauvais hasart,
Car en laschant l'une, il n'eut rien.
Tel quiert l'aultruy qui perd le sien.
1160
CLXVII.
« Nous avons raison toute clere
Que paix vault mieulx que guerre ouverte,
Car apres guerre vient misere,
Et terre en est toute deserte ;
Paix fault avoir, soit gaigne ou perte,
Tant au vainqueur comme au vaincu.
Arc ne dure tousjours tendu.
1165
CLXVIII.
« Pour avoir paix, beste s'enfuyt
En forest et quiert les buyssons ;
Oyseau par nature se duyt1
De hault voller, et les poissons
Descendent en l'eaue bien parfont,
Vers en terre, araigne en sa telle2 ;
Paix est de chascun la tutelle.
1170
1175
CLXIX.
« Or, Dieu nous vueilie paix donner,
Peu vault paix qui de Dieu ne vient ;
De ce3 ne puis plus raisonner,
Au palais entrer nous convient :
Si j'ay tenu halle de neant4,
Vous en estes trop consentens ;
A neant faire vous passés temps. »
1180
CLXX.
Sestre humblement me mercia
De mon parler qui fort luy plut,
Et tres instamment me pria
Que je prinse temps quelque peu
Escripre tout le contenu
De nos devises et raisons.
Bien fait sert en toutes saisons.
1185
CLXXI.
En attendant nostre depesche
Et response de nostre maistre,
Je prins bien en gré ceste empesche1
Sans trop m'endormir ne repaistre :
Ennuy fait l'homme pale et flestre2 ;
Pour ce je me suis occupé
Au Passe temps d'oisiveté.
1190
1195
Explicit le Passe temps d'oysiveté fait a Londres par maistre
Robert Gaguin.